Pauline Hatzigeorgiou | Inward Out
Deux cadres : un miroir noir qui renvoie au spectateur l’affirmation posée – « dehors, dehors, » –, et le second sans vitre, d’un noir qui l’absorbe. Deux cadres dont la structure dédouble celle des deux portes de part et d’autre du mur. Titrée Qu’est-ce qui constitue au moins un cadre de vie ? l’installation s’inscrit dans cette paradoxale frontalité qui caractérise la démarche de Muriel Leray. Il s’agit pour l’artiste de provoquer une tension entre d’une part la forme minimale qui inscrit une présence spatiale, qui délimite ses propres plans et démultiplie les profondeurs, produisant des incisions ou des surfaces réfléchissantes qui rivalisent avec les éléments structuraux propres à l’architecture du lieu ; et d’autre part le travail du texte composé d’un langage concis qui se joue de la force du slogan et fait vaciller l’assurance signifiante. Ce principe d’intersection entre forme minimale et texte court constitue ce que l’artiste nomme des blocs-poèmes. Conçues spécifiquement pour le contexte d’exposition, « ces propositions dans l’espace sont formulées comme un tout, mais possèdent en elles une fracture : un point irréconciliable entre texte et cadre – l’un ne commente pas l’autre, ils ne sont, respectivement, ni sous-titre, ni soutien » - précise l’artiste. Dans la lignée de ce procédé, le travail du titre, souvent plus long que le poème et d’une dimension narrative plus affirmée, n’offre toutefois pas de résolution mais il vient étendre l’environnement de l’œuvre. Il en est ainsi de l’installation Qu’est-ce qui constitue au moins un cadre de vie? qui engage d’inévitables et néanmoins inconciliables liaisons entres les langages.
On retrouve les principes de l’économie réduite et de la dissociation qui caractérisent la démarche de Muriel Leray dans ses pièces vidéos présentées dans le fond du black cube, something much louder #1 et #2. Celles-ci engagent une mise à l’épreuve de l’image, de son pouvoir et de ses limites, en commençant par une mise à l’épreuve de l’appareil photo lui-même, utilisé pour filmer dans la nuit, produisant ce matériau visuel brut dans lequel l’artiste a incorporé un travail de texte. Les vidéos dont les durées sont proches de celles des vidéoclips se caractérisent ainsi par leur détachement des codes de représentation audiovisuelle. something much louder s’empare et contrecarre en effet le « rapport direct et indiscret » [1] de la télévision, sa sollicitation permanente et la passivité qu’elle engage par « une image qui passe, une image devant laquelle on passe sans devoir s’arrêter puisqu’elle ne s’arrête jamais » [2]. Ainsi, à l’écran, une image fixe, stable. Le regard adapté à l’obscurité y discerne le coin d’une chambre surplombé d’une fenêtre ouverte sur le bruit urbain, sur un grondement chaotique qui se diffuse, saccadé, dans l’espace d’exposition. Le traitement du son, marqué par ces coupures volontaires que l’artiste a réalisées au montage, transmet ce désir de rupture, de silence, et dédouble la béance du fond noir dans laquelle l’idée peut se déployer. Dans le texte qui défile en sous-titre, on retrouve cette poésie abrupte, dont le ton rappelle le langage publicitaire et dont le sens fournit les indices d’une narration structurée sous forme de dialogues discontinus. L’artiste évoque « des dialogues rendus aveugles. Laisser parler les gens. Il est question d’une transaction, peut-être, un corps qu’on vend. » Sous ce langage familier et direct, ces contradictions sèment le doute sur les « parlants » à identifier derrière ces strophes, des « parlants » en perpétuels déplacements. Il revient à chacun d’inventer les règles de sa propre lecture.
- Raymond Bellour, L’Entre-Image 2 - Mots, Images, Paris, P.O.L./Traffic, 1999, p.117
- Ibid
exhibition view
2019
image Gilles Ribero