Quote, unquote
En — Muriel Leray’s artworks are a matter of context. (...) By hollowing the space where one would awkwardly try to induce meaning, the artist takes her work away from a world that would accept everything and wouldn’t sort through anything. The data capture failure causes the big loud machine to go into "defunct mode", enabling each and every one to take some time out.
Fr — Les œuvres de Muriel Leray sont une affaire de contexte. (...) En vidant l’espace où l’on tenterait maladroitement de mettre du sens, l’artiste soustrait son travail à une globalité qui accepterait tout et ne ferait le tri de rien. L’échec de cette saisie vient alors faire "bugger" l’énorme machine bruyante, permettant à chacun de s’octroyer le temps d’une pause.
Matter of context
En — If we abandon the goal of a reconciled or restored community, what does the work of art promise? Does it still contain a "promise of happiness" (in the words of Stendhal, taken up by Nietzsche)? What becomes of the promised transparency? Is it necessary to establish a program to conquer it?
Muriel's black blocks may at first glance evoke the program of an end of representation as Malevich's Suprematist Square did. But she warns us against such a reading; she is suspicious of the gesture of projecting a future. And it seems that she has just as much suspicion for Rousseau's gesture of projecting a past. She asks this question (...): "Must we be disappointed so as to believe?" Is there a need for a lost paradise, for us to wish to find it again?
Fr — Si l’on abandonne la visée d’une communauté réconciliée ou restaurée, que promet dès lors le travail de l’art ? Est-ce qu’il contient encore une « promesse de bonheur » (selon le mot de Stendhal repris par Nietzsche) ? Que devient la transparence promise ? Faut-il fonder un programme visant à la conquérir ?
Les blocs noirs de Muriel peuvent bien à première vue évoquer le programme d’une fin de représentation comme le faisait le Carré suprématiste de Malevitch. Mais elle nous met en garde contre une telle lecture ; elle se méfie du geste consistant à projeter un avenir. Et il semble qu’elle ait autant de méfiance pour le geste de Rousseau qui consiste à projeter un passé. Elle pose cette question (…) : « faut-il être déçu pour y croire ? » Faut-il qu’il y ait un paradis perdu, pour qu’on souhaite le retrouver ?
Deux
En — David Freedberg, in his studies dedicated to the anthropology of art, has demonstrated–using the history of iconoclasm–the power of the evocative force of images. The (nearly) absence of details in Leray's black video forces us to discover, in this iconoclastic silence, elements of survival (...). The sensitivity to forms and their interaction with space, an essential characteristic of Leray's work, suggests the use of an unexpected method of analysis: iconology (...). We can thus see, silently, the Black Square by Malevich, carefully displayed in the left corner of a room at the The Last Futurist Exhibition of Painting 0.10 in Petrograd in 1915, the constructivist sculptures of Tatlin, the minimalist installations of Carl Andre and Robert Morris, but especially the spatial research developed by El Lissitsky in his Prounenraum.
Fr — David Freedberg, dans ses études dédiées à l’anthropologie de l’art, a démontré –faisant appel à l’histoire de l’iconoclasme, la force du pouvoir d’évocation des images. La (presque) absence de détails dans la vidéo noire de Leray nous oblige ainsi à découvrir, dans ce silence iconoclaste, des éléments de survivance (...). La sensibilité aux formes et à leur interaction avec l’espace, caractéristique essentielle du travail de Leray, nous suggère l’utilisation d’une méthode d’analyse inattendue : l’iconologie (...). Nous pouvons ainsi voir défiler, silencieusement, le Carré noir sur fond blanc de Malevitch, exposé soigneusement à l’angle gauche d’une salle de la Dernière exposition futuriste de tableaux 0,10 du Petrograd de 1915, les sculptures constructivistes de Tatlin, les installations minimalistes de Carl Andre et de Robert Morris, mais, surtout, la recherche spatiale développée par El Lissitskij dans son Prounenraum.
Expressions de l'intermittence
On retrouve les principes de l’économie réduite et de la dissociation qui caractérisent la démarche de Muriel Leray dans ses pièces vidéos (...). Celles-ci engagent une mise à l’épreuve de l’image, de son pouvoir et de ses limites (...). Dans le texte qui défile en sous-titre, on retrouve cette poésie abrupte, dont le ton rappelle le langage publicitaire et dont le sens fournit les indices d’une narration structurée sous forme de dialogues discontinus. L’artiste évoque « des dialogues rendus aveugles. Laisser parler les gens. Il est question d’une transaction, peut-être, un corps qu’on vend. » Sous ce langage familier et direct, ces contradictions sèment le doute sur les « parlants » à identifier derrière ces strophes, des « parlants » en perpétuels déplacements.
Inward Out
Si on prend un peu de recul par rapport à ses moyens, on comprend que [Muriel Leray] ne se contente pas d’extraire deux échantillons hétérogènes représentatifs de deux mondes différents. Elle les met aussi en action dans leur monde propre. Dit autrement : elle ne cite pas un poème ou ne fait pas référence au minimalisme ; elle réalise, dans la même pièce, un poème et une sculpture minimaliste. C’est ainsi que chacune des deux polarités résiste à son assimilation par l’autre (...).
Après cette oeuvre, je fais quoi ?
Matériellement, les éléments employés sont donc de simples surfaces rectangulaires et des textes brefs. Les surfaces agissent telles des formes abstraites en renvoyant à plus qu’elles-mêmes ; les textes sont poétiques, ciselés, concis comme des haïkus visant à recréer par une qualité et une densité particulières celles du réel vécu. À l’image est opposée l’absence d’image ; au flot verbal répond une concrétion du langage.
Blocs de sens
2008
wood frame, black cardboard, vinyl lettering
135 x 90 cm
2022
NFT
520 x 520 px